LE VIVANT
adaptation de Georgette LeBlanc
Nouvelle-Écosse
Quand ça fait mal, ça fait mal. C’est comme si le mal est déjà dans le corps. Qu’il a déjà fait sa place. Qu’il est déjà dans l’espèce. Toute rebraque dans le mitant, manière de défait.
C’est le gel, le sel pis l’anneau du serpent qui braquent le vivant. Le vivant se brise. Fait des battements. S’épare. Le vivant c’est la moitié du ciel jeté dans un arbre usé; un instant rafistolé de l’espèce ou une rivière dans une rivière qui recommence sans se répéter. Homme-fougère, homme-poisson. Le vivant est rempli de trous. Le vivant djette un corps, des corps et le battement secret de ça qui va se passer.
La fougère, dans sa géométrie obscure, plante ses racines et se repose dans le gel, le sel, le secret intime des morts. La force de ses racines la brasse : c’est la naissance de l’eau éparée qu’est tout le temps rebraquée. La naissance braque d’autres naissances. Trouve d’autres places pour faire des lignes et des patrons. Comment ça se fait que de quoi d’aussi bien fait pis formé seye libre, à ce point-là?
La fougère tremble même si elle est grande amie avec l’argile, la vase à ses pieds. La pluie laisse ses traces pour mieux voir l’horizon. Mais la fougère, son travail à elle, c’est de trembler : la mémoire comme un fossile, la patience du vent. Ça frôle l’érosion mais sa clarté est trop poreuse, le ciel trop compact. La fougère djette point le soleil. Elle obéit la vibration pis creuse dans le mystère d’une autre solitude.
D’autres avont creusé le paysage de leurs corps douloureux. Dans la nuit avec ses hauts cris, corps contre corps comme des arbres. Je creusions itou, nous autres les pauvres, même si c’était pesant, même avec leur façon longi de mirer pour le mitan. Je creusions pour défaire les varnes des oiseaux qu’étiont cachés pis qu’appeuriont les jours de pluie.
Le sel contchiendrait à aller dans la source. Il ferait jour dans le grain et dans la miette de terre que j’aurions halé par notre travail. Le soleil, petite rondeur de la fougère, brûle mais point assez pour avoir soif. Il ferait jour dans le grain. Pis je pourrions voir, de la mémoire des fougères qui pleyont, la pluie, le chant, la solitude et la possibilité de la mort.