Nous sommes aujourd’hui le 16 août 2017. Au terme d’un parcours qui aura conduit la caravane de Vocalités vivantes de Québec à Edmundston, à Comeauville, à Saulnierville, à Pubnico, à Grand-Pré, à Pointe-de-l’Église, à Baie–Sainte-Marie. J’aurai, à de multiples reprises, entendu le texte de Mychèle POITRAS et de Georgette LEBLANC dans une transposition du texte de Carl LACHARITÉ « Le Vivant ».
Qu’en reste-t-il dans ma mémoire si imprégnée de songes ? Et maintenant que le voyage s’achève quels sont les traces des mots du VIVANT en moi ?
Note : enregistrez le texte qui suit sur appareil mobile. Tenez-vous debout devant votre caméra, votre tablette ou votre téléphone. Lisez le texte à voix haute dans l’accent du pays de votre choix. Vous pouvez le lire en tout ou en partie. Ou le réécrire en y déposant des mots qui sont plus familiers à votre oreille. Puis publiez votre vidéo sur Facebook ou YouTube avec la balise #VocViv sur Twitter. Et enfin écrivez-moi : jyfrechette@gmail.com
L E V I V A N T E T A P R È S ?
Le VIVANT m’aura appris à m’enfuir.
Le VIVANT m’aura appris à vivre.
Le VIVANT m’aura prêté ses astuces et ses ruses : comme l’art de l’effacement et de la dispersion des repères enfouis sous la vase.
Le VIVANT m’aura prêté ses voix. Ses gestes. Ses tics. Et sa farouche détermination à me dissimuler dans l’éclair d’une fougère sur les lieux mêmes de son arsenal.
Le VIVANT qui n’avait rien d’autre à dire que le cri et la douleur du gel au commencement des mots aura fini par m’apprivoiser.
Le VIVANT, qui vivait de carnage et de doute, m’aura appris la traîtrise des nomenclatures et le grand repos de la mort.
Et depuis…
Depuis je ne prospecte plus rien que moi-même.
Avec la complicité des voix qui m’auscultent.
Avec la complicité des voix qui me reproduisent.
Je ne prospecte ni la neige et son blanc manteau. Ni le fleuve aux majestés immondes. Ni la trace des sabots menant au ruisseau.
Ni la bave des sourds dans le vacarme des cris.
Ni tes cils dans le balai des tempêtes.
Ni le recul des vengeances dans le repli des diktats.
Ni la gymnastique des étincelles le soir tout près des braises.
Ni la tombée de la brunante sur des paysages de catastrophes.
Ni le plein de rage auprès des fragments éparpillés du ventre avorté.
Ni les bobards moisis sous la langue sangsue.
Ni les serviettes imbibées de liqueurs obscènes.
Ni les regards mortifiés des courbatures.
Ni l’absence provoquée des sourires au sein des volcans.
Ni l’algue solitaire, ni la spongieuse mathématique du rire.
Ni l’accablement du regard quand pourrissent les cerises.
Ni l’hypothèse d’un déraillement au ralenti au détour d’une chevelure.
Ni le volcan des ombilics près des parcs.
Ni les fêlures au poignet des passagers distraits.
Ni le pétoncle sous l’ongle des huîtres.
Ni la crevette coiffant le bigoudi des rapaces.
Ni la cage. Ni la corde. Ni le nœud. Ni le fil.
Ni l’érosion des humeurs dans la sciure des os.
Ni les ruelles incendiées, ni les naissances clandestines.
Ni les naissances aux regards soudés aux mémoires des alentours.
Ni les processus de sauvagerie magnanime.
Ni le plein emploi des poètes auprès des roses de métal hurlant.
Ni la défense satisfaite des cadences aux mœurs conventionnées.
Ni ces espèces de gélatines rougeâtres qu’on utilise les nuits de grande amertume pour désenclaver la nourriture abdominale des fœtus.
Ni l’agitation du style initial dans sa finalité même.
Ni la peau.
Ni la langue sur la peau.
Ni ta langue dans le pot.
Ni ta langue étirée sur la peau de l’eau pour boire.
Pour boire la sueur des poitrines des perdrix sans la limitation des flux musculaires.
Pour boire et toucher du bout des cils les détails structuraux d’un brin d’herbe laissé sans voix.
Pour toucher et remâcher toute régurgitation chirurgicale prélevée à même des rots bavards.
Je ne prospecte plus rien que moi-même. Ni le mythe aux perles de sueur. Ni la thèse des ivresses enfoncées au fond des gorges.
Je ne prospecte plus rien que moi-même enfoncé dans les glus coagulées des sérails et dans la martingale du délire.
Je ne prospecte plus rien que moi-même car ma voix synchrone s’ajuste aux doutes du VIVANT.
À son ennui.
À ses peurs.
À son engourdissement.
À sa prédation.
À la perte de toutes ses mémoires.
À l’inutile déliquescence de son sourire.
Au saccage systématique de ses aires de ravitaillement.
À la dispersion de ses paysages fétiches.
À sa déroute programmée.
Alors…
Vous leur direz et dites-le bien fort je vous prie : « Y a-t-il assez de sang sur les signes de détresses tatouées au verso des paupières ? Y a-t-il assez de cendre autour des métaphores circonstancielles, celle-là même que manipulent les paraplégiques autoproclamés et les neurasthéniques grogneurs ? Y a-t-il assez de mouches dans les narines des ravageurs ? Y a-t-il assez de libellules dont les ailes secouent les joues paresseuses des chiens ? Y a-t-il assez de vibrato dans ces voix qui crient au secours. Y a-t-il assez de jour dans les ombres à midi ? Y a-t-il assez de nuit dans la lune de minuit ? »
Et puis vous direz : que reste-t-il de toutes ces défenses criblées de nostalgie ?
Y a-t-il encore assez de vie dans l’œil des VIVANTS ?
Y a-t-il encore assez de VIVANTS par ici ?
Au bout de nos routes ?
À la fin de tout…
(à suivre)
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P.S. Non je n’ai pas oublié la complicité d’Erika SOUCY, restée seule à Québec chez Rhizome ou ailleurs, afin d’assurer la permanence Web pour la mise en ligne des contenus.
JYF, le 16 août 2017
© photo en-tête : Jean-Yves Fréchette
- © photo : Jean-Yves Fréchette
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