Que cherchez-vous au juste? Quel bon vent vous amène
Jusqu’ici, aux confins de cette immense plaine
Où les eaux recueillies sur les flancs des montagnes
Avec celles des mares qui, flemmardes, stagnent,
S’entrelacent, se mêlent, se croisent sans cesse?
Une trace peut-être? Une tache de graisse
Laissée par un pouce sur un carreau vitré?
Dites, que cherchez-vous? Si c’est moi, vous saurez
Que je suis orphelin. Au cœur de la froidure,
J’ai dû aménager près des doubles sutures
Dessinées sur le sein de la terre éplorée,
Des grands lacs à la mer… Le long des voies ferrées,
J’existe par hasard, fusion étonnante,
Modeste résultat de quinze ou vingt ou trente
Sublimes espérances, venues se briser
Au cœur d’un continent, comme les vagues feutrées
Contre les hautes falaises, blanches de chaux.
« Manito » disent-elles… Et tout bas « Manito ».

Que puis-je vous montrer que vous ne connaissez pas?
Les héritiers du sang – les Cris, les Dakotas,
Les Anishnabègues, les Dénés, les Métis –
Il faut chercher chez eux, ses véritables fils,
Ses filles regrettées… Ils connaissent ce nom.
Ils l’entendent depuis que le premier maillon
De la chaîne des temps est forgée. Ils le disent
Devant l’autel de la plus belle des églises,
En plein bois, sur le lac ou au soleil levant.
Ils voient dans chaque chose un esprit, un parent.
Toutes les créatures se donnent le mot…
« Manito » disent-elles… Et tout bas « Manito ».

Comme ils nous ont reçus, je veux vous recevoir.
Le soleil épuisé s’éteignant, c’est le soir
Qui s’installe à son tour, calme, long, velouté…
Autour de la table, prenez place et mangez –
L’abondance des mets de leur terre est un don.
Leur bonté se déploie en partage et pardon.
Parlons de vous aussi, comparons nos origines,
Discutons de sel et de cruelles racines
Plantant dans le secret intime des mourants.
Délions les ronces et la patience du vent.
Remontons aux sources où se cache l’oiseau.
« Manito » disent-elles… Et tout bas « Manito ».