LA DOULEUR A DÉJÀ UN CORPS
adaptation de Daniel Aubin
Ontario
La douleur a déjà un corps. Elle a déjà une place. C’est comme ça, la sorte. [Nous y sommes. On est là. On est là, toute la gang. On est là, toute la gang, puis les bêtes avec.] Et tout est toujours à recommencer, encore, quand ça va mal dans le corps, quand il fait froid et que le sang ou la sève sont trop pleins de minerai, quand le serpent devient autre chose que soi-même et s’avale. Ça cogne. Ça tombe en morceaux. Ça s’étend un peu partout. C’est la moqué du ciel qui se met à user l’arbre; une petite seconde qui s’est échappée de ses semblables ou comme la rivière dans la rivière qui arrive à se reprendre sans jamais faire un nœud trop serré. On est comme la mauvaise herbe. On est comme les poissons. Les affaires vivantes toutes pleines de grafignures. Ça veut vivre dans un corps — dans plusieurs — et ça cherche l’excitation du moment présent pas gaspillé.
À force du froid et du minerai vital, la mauvaise herbe s’appuie sur la source de sa face cachée, jetant ses racines parmi les aspects du mystère profond des morts. Ils vivent en elle : comme la renaissance perpétuelle de l’eau largement répandue. Ça a besoin d’un commencement, d’une nouvelle place et de tout ce qu’on peut voir, un morceau à la fois. Ça a besoin de contours, ça a besoin de domaines, capables de raccorder un contour, posés devant la zone délinéée de la chasse. Qu’est-ce qu’on va faire avec toute cette bonne foi, tout près du corps, exigeant ainsi le paysage ?
Camarade de la glaise, la mauvaise herbe pogne la bougeotte. Des empreintes dans la bouette qui regardent au loin pendant qu’il pleut, c’est sa job de trembler : la mémoire enfouie, le vent qui prend son temps sans même s’en rendre compte. Ça frise l’usure puis pas à peu près. Ça cherche les points faibles dans le corps, le trempe en lavette, la masse fragile, la lumière toute pleine de petits trous et le ciel avec. Fidèle au mouvement, la mauvaise herbe décortique le mystère d’encore un autre ailleurs.
Ça a traversé le paysage; d’autres corps au travail. Ça travaillait la nuit. Ça travaillait, dans le sol, contre le flanc de la terre, ses entrailles d’où surgissaient les arbres et leurs grandes voix pointues. Et malgré que ça soit bien lourd, tous les corps les uns par-dessus les [plusieurs] autres, s’étirant lentement vers le centre, nous les plus pauvres, on travaillait aussi. On travaillait dans la grosse terre pour dégager les buissons épineux qui cachaient des oiseaux effrayants quand il faisait de la pluie.
Dans le puits se retrouverait encore le minerai vital. Le soleil se lèverait encore dans le noyau de la patente et dans la petite parcelle de la planète travaillée par nos bras endurcis. Étoile voisine, vectrice de la mauvaise herbe, persistance de la fièvre; mais la fièvre n’a pas encore soif. Le soleil se lèverait encore dans le noyau de la patente. Et de l’inconscient de la mauvaise herbe pleuvrait la pluie, chanterait la chanson, pleurerait l’exil et l’aboutissement du vivant.